Chiang Mai Day 2
Une histoire de rencontres
Il existe une multitude de raison de faire un tour du monde, de voyager, de voir ce qui se trouve ailleurs et partout. Certains font un tour du monde pour battre des records, d’autres pour se cultiver, ou trouver une idée, un concept. D’autres le font pour se prouver quelque chose… chez moi il y a peut être un peu de ça, mais surtout l’envie de vivre une aventure, et toute aventure est avant tout une histoire de rencontres.
C’est sur la magie des rencontres que j’écris cet article. Certains pourront se sentir déçus du manque d’exotisme des rencontres dont je vais parler, mais je souhaite ici vous partager mon point de vue. La magie d’une rencontre, de cet instant de découverte mutuelle ne se mesure pas à la différence ethnique ou culturelle, à la séparation des deux mondes, des deux parties… Non, la qualité et la magie de cet instant ne s’estiment que par ce qu’il vous apporte, la manière dont il vous enrichit. Ce sont ces instants qui nous définissent et nous grandissent, et le contexte dépaysant du tour du monde ne fait que favoriser la spontanéité de ces rencontres, et notre ouverture d’esprit vis à vis d’elles.
Enfin, trêve de réflexion, il est temps que je vous replace dans le contexte : le surlendemain de la rencontre avec le moine bouddhiste, le réveil a sonné très tôt ce matin là. Nous partons pour une journée trekking, une balade à la manière d’Indiana Jones, d’abord à dos d’éléphants, puis en excursion dans la jungle avant de finir l’après midi en profitant du bambou rafting. Pour vous l’imaginer, visualisiez 8 épais bambous de 10 mètres de long, attachés entre eux, cela forme une embarcation longiligne qui se guide à la force des bras grâce à une perche.
Nous vivons cette journée accompagnés de deux belges, un wallon et un bruxellois, ainsi que de deux anglo-saxonnes, une de Manchester, l’autre nous venant du Canada, proche de Vancouver. Notre programme commence par une balade d’une heure à dos d’éléphants, au rythme de la « Patrouille des éléphants » du Livre de la Jungle, un classique de Disney. En effet, nous ne cessons tout quatre d’en chantonner l’air, le sourire étirant nos lèvres alors que nous pouvons approcher ces mastodontes. Montant par duo et un dresseur, les belges chevauchent en tête, suivent Sylvain et Marina, les anglo-saxonnes puis… Et bien Yann et moi peinons comiquement sur la plus imposante des montures, un titan parmi ses congénères, j’ai nommé Boomi. Boomi est puissant, massif et à bien des égards surprenant de calme… trop calme même !
C’est distancés de près de 100 mètres que nous avançons à une vitesse lente mais inéluctable, comme un mécanisme bien huilé. Nous rions avec notre dresseur, Lowe, qui nous donne l’âge de notre pachyderme, 45 ans. Lowe est farceur et nous jouons avec lui. En effet, malgré sa non connaissance du français, ce dernier répète à grands renforts de cris, et avec une surprenante exactitude, tout ce que l’on dit dans la langue de Molière, s’en amusant, et nous faisant rire par la même tant certains résultats sont comiques. Nous sommes bercés par la marche de l’éléphant, puissant et noble, imposant le respect malgré, soyons honnête, la lenteur d’escargot de notre monture. Nous nous balançons et découvrons bien vite une force cachée de Boomi… il ne s’arrête pour ainsi dire jamais dans le but de réclamer les bananes que nous avons acheté ! Alors que nos concurrents, pourtant fiers de leurs montures rapides et légères, ne cessent de s’arrêter pour rassasier la gourmandise infinie des quadrupèdes.
C’est ainsi que nous finissons de les rattraper, avec l’inexorabilité du temps, patients et réguliers. Comme à mon habitude, je fais mon malin en quittant la douce sécurité de la nacelle pour m’installer sur le cou de la bête. Je regrette bien vite mon choix tant la stabilité y est réduite, mon postérieur résolument ancré entre les omoplates de la bête. Chaque pas manque de me faire tomber tant le jeu puissant des muscles sous l’épais cuir m’offre une assise incertaine. C’est bien à cet instant là que je peux apprécier le plus pleinement l’impressionnante force de Boomi, qui ne cesse de me fasciner et de m’imposer le respect. Mais tandis que je m’agrippe avec hardiesse, mon ami au cuir gris accélère le pas dans une pente, me penchant dangereusement en avant. C’est assez pour me rappeler à la raison et me pousser à remonter sur la nacelle. Fin de l’expérience enfantine, ma place est sur ce doux siège de cuir !
Nous continuons notre promenade et finissons par rattraper et dépasser Sylvain et Marina, ainsi que les anglo-saxonnes. Les deux équipages ne cessent de s’arrêter tant leurs montures réclament des bananes en récompense. Mais Boomi, majestueux et noble dans sa tâche, avance sans frémir, la sagesse de l’ainée le faisant vite reprendre la tête du cortège. Le reste de la balade est l’occasion pour nous de nous exalter et d’exprimer notre fascination pour ces pachydermes. Pendant ce temps, Yann et moi dispensons avec générosité nos bananes à tout éléphant que nous croisons, concurrents ou éléphanteaux qui gambadent autour de nous avec l’agilité d’une baleine prisonnière d’une piscine olympique. C’est dans cette ambiance bon enfant, chantant à tue-tête la chanson de Disney que nous terminons cette randonnée. Dommage, nous n’aurons pas pu nous baigner et nous doucher avec nos montures comme il était prévu. Cela nous apprendra à avoir trop négocier le prix de l’activité…
Au revoir Boomi, au revoir Lowe, la magie de ce moment enfantin nous aura fait vous aimer avec sincérité, prenez soin de vous.
Nous poursuivons alors notre découverte de la jungle en partant à la rencontre des Karens, un peuple local qui s’est ouvert il y a quelques décennies à la Thaïlande. C’est un peu forcé qu’ils se sont adaptés au nouvel état de Thaïlande, particulièrement quand le roi a interdit le nomadisme dans la culture du riz, puis l’exploitation de l’opium. Ces deux changements majeurs les ont rendu sédentaires, forcés de se figer dans l’espace pour élire domicile. L’apparition d’engins agricoles a détruit leur lien symbiotique avec les buffles, faisant disparaître ces animaux de leur vie. Pourtant, en échangeant avec eux, ces changements ne sont pas seulement négatifs pour eux. Ainsi, ils sont heureux d’en éprouver les avantages aussi, comme l’accès au soin et surtout l’école pour les enfants. La sagesse de ce peuple et sa capacité à savoir mêler tradition et évolution, même si pervertie et guidée par le besoin touristique, est attendrissante et pleine de leçons.
Au revoir les Karens, votre patience et votre indulgence face aux touristes curieux que nous sommes nous auront fait vous respecter, prenez soin de vous.
La suite de notre journée se poursuit sur une balade dans la jungle en terrain accidenté, nos pieds foulant cette terre où la nature n’a jamais perdu ses droits, omniprésente et dominatrice. Je donne maintenant un autre sens aux mots « jungle luxuriante »… le paysage est captivant, paré d’une multitude de nuances comme si le créateur de cette fresque avait voulu montrer toute l’étendue des possibilités du vert, pointant du doigt la palette d’émotions que cette coloris peut suggérer et créer. La vie ici n’est pas seulement un concept philosophique, elle est une réalité presque oppressante dans cette moiteur. À mesure que nos yeux s’habituent, notre vision se précise, et nous détectons de plus en plus de signes de cette vie bouillonnante alors que nous nous découvrons une capacité à zoomer sur le minuscule et à déceler l’invisible. La vie grouille, se répand, occupe son territoire, et nous nous sentons acceptés comme spectateurs de cette effusion. Mais un autre sentiment domine également, il est évident que cette même nature se déversera sur nous avec violence si nous quittons le pacifisme de notre rôle de spectateur. C’est dans ce respect total que nous évoluons, l’instinct reprenant le dessus alors que les épaules se collent et que nous avançons en formation serrée.
Mais quel spectacle, quelle tranquillité ! Tranquillité oui, mais pas de silence alors que nous oreilles sont tout autant témoins de cette vie bourdonnante que nos yeux.
Au revoir la jungle, ton infinité et ton indomptabilité nous auront fasciné et envouté.
C’est la même fascination pour notre environnement que nous envahit alors que nous descendons la rivière en bambou rafting, sagement assis avec inconfort sur les bambous pendant que nos guides nous emmènent au fil des rapides, nos embarcations oscillantes par le remous. Plusieurs fois nous percutons des rochers mais ces jeunes capitaines sont remarquablement habitués, se tenant debout sans défaillir. Ils ne montrent aucun signe de lutte, se résignant à subir le courant d’eau mais s’adaptant à celui-ci avec une adresse remarquable, comme si chaque caillou, chaque creux et chaque plante étaient intimement connus d’eux.
Nous sommes trempés jusqu’aux os mais ravis, et bientôt nos merveilleux capitaines offrent à deux d’entre nous de les remplacer. C’est sans plus attendre que le tandem de guides plonge à l’eau, laissant nos embarcations sans direction alors que Sylvain, pour la notre, et le bruxellois, pour la seconde, s’emparent quelque peu hésitants des perches et tentent de maitriser le radeau de fortune. Entre quelques éclats de rire tandis que Sylvain tombe à l’eau quand il lutte bravement contre le courant à l’aide de sa perche, se sacrifiant pour nous, mon regard se porte sur nos guides qui nagent à nos côtés. Si la vitesse et l’aisance avec lesquelles ils évoluent dans l’eau sont déjà un réel sujet de fascination, n’ayant rien à envier à quelques champions olympiques, c’est surtout leur capacité à nager dans 50 cm de profondeur, malgré les cailloux, aspérités et obstacles cachés. Essayez, vous verrez, ça force le respect, leur corps se gainant avec force pour se transformer en parfaite planche, flottant à la surface, ballotés au grès des rapides mais fusionnant gracieusement avec l’eau et sa douce virulence. Nous arrivons à bon port après un temps indéterminable, transis, riants et revigorés.
Au revoir nos capitaines, votre maitrise de l’environnement et votre symbiose avec celui-ci nous auront charmé et amusé.
Enfin vient le moment de la soirée, le groupe de la journée s’étant très bien entendu, nous décidons tous de nous retrouver au soir pour manger et boire, avides de fêter cette merveilleuse journée de la même façon qu’elle a commencé… en étant tous ensembles ! Ainsi, le rendez vous est fixé à 19h30 à notre hôtel, où le bar et le restaurant sont de qualité et peu cher. Seuls les belges n’y résident pas, tant pis, ils feront le déplacement pour nous !
Après une présence polie, les anglo-saxonnes nous abandonnent pour aller faire la fête en ville, et nous nous retrouvons entre francophones, se remplissant la panse des plats locaux, épicés, et se rinçant le gosier de Chang, la bière locale dont le symbole est l’éléphant, créature sacrée de ce pays.
Les discussions vont gaiement, et nous découvrons avec plaisir nos voisins du nord, dans un moment de convivialité spontané, le temps défile sans que nous le regardions, et les sujets de conversations ne manquent pas. Par respect de leur intimité, je tairais le nom de nos amis, mais je souhaite qu’ils se reconnaissent dans ces lignes.
Ainsi, je découvre chez notre ami wallon une grande culture, un réel attrait pour l’actualité, la politique et l’économie, le personnage, plus âgé que nous, est sympathique, et même dans le sérieux de la discussion, tout le monde passe un excellent moment. Notre ami bruxellois quant à lui a tout du poète, à ravir ces jeunes filles alors qu’il possède beaucoup des qualités de l’artiste, curieux, ouvert, et avant tout intéressé par l’instant présent.
Pendant nos babillages, nous écoutons le guitariste présent sur scène, avec plaisir tant sa capacité à reprendre des grands classiques, de Bob Dylan à Oasis en passant par Nirvana, ou une magnifique version acoustique de « Lazy song » de Bruno Mars. Il est étrange de se retrouver dans un endroit si isolé, si étrange pour trouver tant de talents, alors qu’un jeu s’organise entre nous et l’artiste, celui-ci nous faisant chanter et participer à son concert. Il est évident qu’il est ravi de cette interaction, ayant d’habitude un public amorphe alors que nous, sensibles à sa musique, nous remplissons notre office de spectateurs, et lui rendons la pareille de son investissement.
Et c’est justement en l’écoutant que nous découvrons la renommée de notre ami Bruxellois, qui est le chanteur du groupe « Von Durden », groupe relativement connu de la Belgique, qui a tout de même à son palmarès des premières parties de renom : Mademoiselle K, Julien Doré, Superbus, Selah Sue, Téléphone, Les Ritas Mitsuko… Et nous le retrouvons donc en Thaïlande où il fête l’enregistrement de leur troisième album en compagnie de son ami wallon. Il nous fait le plaisir d’une démo, et partage son expérience avec nous, et nous ne cessons de trouver comique le fait de l’avoir rencontré à plus de 15 000 kilomètres de chez nous.
La soirée se termine au son de nos rires, nous sommes plongés dans le noir tant l’endroit s’est vidé, et c’est sans regrets, mais avec le cœur empli de joie que nous quittons nos nouveaux amis, non sans se souhaiter mutuellement toutes les meilleures choses du monde…
Au revoir bruxellois, wallon, et guitariste anonyme, l’authenticités de vos personnalités nous auront rappeler que l’important n’est pas où on est, mais avec qui on est.
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