Une journée à Phuket
Une journée à Phuket
La chaleur s’abat ici avec une efficacité presque fatale. Un sentiment d’inéluctabilité est omniprésent alors que la lumière du soleil déchire et fragmente le ciel, les nuages ne procurant que plus de relief à l’immensité orange et bleu.
Et pourtant la luminosité perce au travers de ces rideaux fins et grossiers. La lumière envahit la pièce, l’inonde, l’immerge avec une générosité presque outrageante. Ce même rayon se propage et lèche les visages endormis des deux voyageurs. Sylvain, comme à son habitude se réfugie sous les couettes et se tourne en chien de fusil, réfractaire à un réveil si violent alors que la nuit fut si courte. Guillaume, quant à lui, maudit son aversion pour les coussins, souhaitant que le sien se dresse en protecteur de la lumière plutôt que jeté avec chaos à quelques mètres de là.
La nuit aura été courte, et le réveil d’autant plus difficile, mais en un pays où la température atteint les 35 degrés à 9 heures du matin, il ne saurait en être autrement. Rapidement la musique, comme fédérateur, retentit ; c’est d’abord Damien Saez qui accompagne l’éveil du duo, résonnant de son ton engagé avant que Orelsan ne prenne le relais, scandant son adieu à l’auditeur tandis que Morphée relâche ses otages. La mélodie fait son œuvre et les esprits émergent dans une moiteur pesante, la climatisation coupée suite aux souhaits de Sylvain.
Il est 11h, et les deux esprits embrumés saisissent difficilement l’écoulement inlassable du temps alors que tout deux s’en sont déconnectés avec une ferveur frisant l’obstination. Sylvain, comme toujours, est le premier à activer ses fonctions vitales, cherchant quelques énergies restantes dans les rappels à la réalité qu’il trouve sur internet. La France est qualifiée pour le Brésil, le gouvernement français est en difficulté, et une femme a réussi à accoucher au sein des décombres des Philippines suite au Typhon Haiyan, le monde semble suivre son cours, et la vie avec contre toute attente. Guillaume rejoint finalement la réalité dans une brume opaque, de ces incertitudes lascives qui accompagnent les lendemains de fêtes.
C’est une nouvelle journée de découverte et de tour du monde qui s’offre à eux. Et elle commencera de la même manière que les précédentes, Sylvain forçant sur une série d’abdominaux alors qu’il vilipende Guillaume de se lever. La musique les berçant avec l’amour de la mère qui leur manque, tandis que Sylvain se précipite enfin à la douche, souhaitant vivre le réveil chaleureux de l’eau chaude sur sa peau. Dans le même temps, son compagnon de voyage émerge finalement, se vouant lui même à respecter ses engagements alors qu’il place ses propres écouteurs dans le creux de ses oreilles. Il s’attèle lui même à quelques exercices physiques rituels journaliers, déplaisant mais avoisinant l’automatisme maintenant après un mois et demi de tour du monde. C’est au prix de quelques gouttes de sueurs que le réveil de l’esprit se fait pour tout deux, et une demi heure plus tard, c’est à grand renfort de cris que Sylvain clame sa faim alors que Guillaume finit sa douche glacée.
Tout juste le loisir de s’habiller, et une nouvelle journée commence. Il y a un restaurant au coin de la rue, un havre de paix pour quelques locaux mais surtout de nombreux russes en villégiatures et consommations outrageuses. C’est là que notre duo d’aventurier avait l’habitude de se rendre matin et soir avant l’excursion des jours précédents. C’est tout logiquement que leurs pas les guident là bas, l’appétit les animant. Ils sont reçus par de larges sourires alors que leurs facies inhabituels sont rapidement reconnus.
Immédiatement, les anciens rituels reviennent alors qu’ils baragouinent un thaïlandais approximatif, mais l’effort semble si remarquable dans cette cité du tourisme que le comportement des serveurs change immédiatement, plus cordial et spontané malgré la barrière de la langue. En effet, ceux ci parlant plus le russe que l’anglais, semblent des plus heureux et réagissent avec un bonheur communicatif à l’effort des deux français. Un simple effort brisant la glace naturelle entre les peuples, les deux aventuriers retrouvent leurs statuts privilégiés d’il y a une semaine, les regards complices ou amicaux fusant dans une bonne ambiance générale alors que la table habituelle des deux leur est toute désignée.
De vieux tubes résonnent dans les enceintes usées du restaurant, mais cela ne gâche en rien l’ambiance soudainement plus détendue alors que les serveurs en surnombre semblent ravis de s’activer pour satisfaire ceux qui sont devenus des habitués bien amicaux. Quelques rires malgré les difficultés de la langue sont échangés et deux jus de fruits sont commandés en plus des deux nouvelles expériences culinaires, alors que les deux aventuriers ne cessent d’explorer l’étendue de la carte offerte à eux. Il semble bon de se sentir chez soi, et il peut arriver que cela soit dans un endroit bien surprenant comme ce petit restaurant dans lequel la notion d’hospitalité prend un nouveau sens.
Au moment de payer l’addition, il ne s’agit plus d’un simple acte marchand, mais d’un vrai échange de sourires et la promesse de se retrouver le soir même. Sylvain et Guillaume laissent leur pas les porter vers la plage, cette immensité paradisiaque, à laquelle même le tourisme n’aura pas réussi à ravir les charmes. Le sable s’étend, le soleil s’engageant une danse lumineuse avec les vagues, produisant le plus bel effet, en un enchantement qui ne saurait être perverti par l’utilisation abusive des commerces et de l’occidental en recherche de détente.
Une simple après midi de relaxation, allongés dans le sable, attend nos compères, l’oreille bercée par les vagues et les cris des vacanciers. Et pourtant, rien ne les trouble tant les souvenirs de la veille les rappellent à une réalité brute mais unique : bonheur est une notion qui ne s’explique pas, ne se conte pas, elle se vit. La soirée aura été riche en rencontres, en rires, en musiques et en échanges dont l’authenticité n’a de valeurs que dans l’innocence avec laquelle cela aura été vécu.
C’est avec cette bonhommie presque naïve, transie, que les deux français observent ce qui les entoure, l’œil brillant de cette soif de voir plus, de découvrir et de partager. Ici et là, des couples aux nationalités multiples s’étendent, comparant leurs mœurs et limites sociales, alors que plus loin un atelier de parachute ascensionnel tracté par bateau fait fureur. Les occidentaux se précipitant pour ces deux minutes de sensations, tandis que le vrai spectacle réside dans l’aisance aérienne des locaux. En effet, à chaque envolée, un acrobate se joint à la seule force des bras au parachute, se hissant avec l’aisance d’un chimpanzé entre les cordages pour se jucher d’un coup de rein sur la plus haute des cordes, dominant la crique avec une expression enfantine peinte sur le visage. Aucun d’eux ne semblent se lasser d’un tel spectacle, et même si ce labeur est discréditant pour eux, la magie de l’instant paraît laver l’affront de la servitude tant la sensation paraît magique. Tous les envient et ils sont clairement les meilleurs commerciaux de leurs activités, défiant outrageusement la notion de liberté alors qu’ils conquièrent le ciel dans un équilibrisme surprenant. L’envol en lui même résonne comme un hymne unique, criant qu’ils sont libres alors même qu’ils courent après ce petit garçon solidement harnaché dans son parachute, le hors-bord tractant avec violence son équipage improvisé. Et c’est bien à la force seule du biceps que le local saute et se rattrape à cet ovni filant, se hissant parmi les cordages. La grâce a de multiples visages, elle en trouve son expression aérienne ici.
C’est avec la fascination qu’impose un tel spectacle que les aventuriers s’éternisent jusqu’au coucher du soleil. Après tout, n’ont ils pas mérité quelques heures de repos suite à tant d’aventures ?
Mais leurs pas les guident à nouveau vers le restaurant de leurs cœurs après une brève étape douche à l’hôtel. L’ambiance change avec le succès de l’établissement une fois la nuit tombée. Ils prennent quelques cocktails et s’amusent de l’effervescence alcoolisée des cousins moscovites, alors que même la carte ici est traduite en russe plutôt qu’en anglais. Ce sera un Tequila Sunrise pour Guillaume, et un MaiTai pour Sylvain, les couleurs correspondantes si bien à la palette de couleurs offertes par le paradis de Phuket.
Les rencontres et les échanges commencent, les russes soucieux de leur image crachant leurs monnaies sonnantes et trébuchantes avec un flegme perturbant, achetant homard et fruits de mers avec orgueil. Pourtant, cet étalage de richesse ne semble rendre les deux français que plus sympathiques tant ils se soucient du bien être des serveurs, en échangeant avec eux et en faisant l’effort de pratiquer leur langue. C’est dans cet état de grâce grisant que les aventuriers sont servis, le sourire béat de VIP à bas prix, de stars qui n’ont pourtant rien fait pour mériter autant de reconnaissance spontanée. Le repas s’annonce épicé, et les cocktails s’harmonisent aux rires, annonçant une nouvelle soirée simple et spontanée.
Avant leur départ de Phuket, une semaine auparavant, en direction de Koh Phangan et Koh Samui, le duo avait eu l’occasion de découvrir un excellent bar musical perdu au milieu des clubs, ou autres établissements douteux qui pullulent sur la station balnéaire. Et c’est là que leur pas les guident à nouveau, se laissant porter par la musique comme un chant de sirène obsédant, le videur leur offrant commercialement une place juste en face de la scène.
C’est alors qu’une de ces soirées de pure extase sonore commence, de ces soirées où les voix des chanteurs et la mélodie de la guitare sèche vous porte, vous transcendent. Les yeux se ferment, les têtes hochant au rythme du percussionniste qui s’excite sur son tabouret rudimentaire, un simple micro amplifiant son œuvre. Les grands classiques du rock et de la folk sont revus, et le duo accompagne sa soirée de quelques cocktails choisis avec goûts au milieu de cet océan de ce que le touriste appelle « bucket » (« seau » en français, un seau d’enfant rempli de mélanges de soda et de liqueurs, très populaires ici).
L’hymne de la soirée est la musique, la même mélodie animant une salle entière qui se laisse porter par le talent abrupte mais si charmant du groupe atypique qui occupe la scène. Le guitariste est caché derrière la scène de bois, le chanteur masculin et la chanteuse féminine se partageant l’affiche tandis que leur chanteur de chœur et percussionniste se contente d’une caisse de bois rudimentaire. Mais le résultat n’en reste pas moins charmeur et authentique, comme si chaque personne présente dans cette salle peu éclairée partageait le même goût pour une musique pure et simple.
Les nationalités se mélangent, les différences culturelles s’effacent tandis que des heures durant, une seule vérité fait surface : la musique est un langage universelle, dont le pouvoir n’a qu’une raison d’être, celui de ramener l’être humain à sa seule capacité de ressentir des émotions. Ce sont ces émotions qui font de nous des êtres à la fois si uniques mais pourtant si semblables, capables de se comprendre mutuellement dans notre complexité. C’est la vérité qui touche cette centaine de personnes, à des milliers de kilomètres ou tout juste cent mètre de leur domiciles, séparés par de multiples codes culturels, mais pourtant si proches en cet instant.
Et sur le chemin du retour, c’est le cœur chantant que le duo d’explorateur se tait, soudain soucieux de ceux qu’ils aiment, de ceux à qui ils pensent, de ceux pour qui ils vivent et éprouvent ces expériences… père, mère, frère, famille et cousins ou encore amis proches…
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